Les prépas gratuites aux grandes écoles ne suffisent pas à rétablir l’égalité des chances

Pour contrebalancer un système de concours qui avantage les étudiants les plus favorisés socialement, des dispositifs ont été créés à destination des étudiants de milieux modestes. Mais ils sont encore trop peu nombreux pour changer la donne.

LE MONDE | 19.02.2018 à 17h57 • Mis à jour le 19.02.2018 à 20h17 | Par Mégane De Amorim

A l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, « on a constaté que les étudiants avaient toujours le même profil », explique Rachel Bertout, responsable de la prépa « égalité des chances » mise en place depuis neuf ans. Le même constat a été fait dans de nombreuses écoles recrutant sur concours, et notamment à l’ENA, où « lorsqu’on a commencé à faire des statistiques sur les origines sociologiques des admis, sans grande surprise, ce sont davantage des enfants de classes sociales favorisées qui réussissaient le concours », note Mejdi Jamel, coordinateur pédagogique de la classe préparatoire de l’ENA, la CP’ENA.

Dans cette prestigieuse école de la haute administration, comme à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), à l’Ecole nationale des greffes (ENG) ou à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), des classes préparatoires gratuites ont été ouvertes aux élèves méritants de milieux modestes. Les critères de leur admission varient d’une prépa à l’autre, mais leur droit à une bourse du Crous est généralement pris en compte, ainsi que leur parcours scolaire et universitaire, parfois leur origine géographique (ZEP, zone rurale…), et leur réussite à un entretien oral.

Offrir un réseau et des références

Une fois admis, les étudiants sont entraînés grâce à des concours blancs, des conseils méthodologiques et, très souvent, une découverte du milieu professionnel. « La prépa de l’ENA permet aux étudiants de rencontrer des énarques, de se faire un réseau, ce qui peut être crucial pour réussir l’oral », souligne Mejdi ­Jamel.

« Les filières spéciales ouvertes par certaines grandes écoles n’ont eu aucun impact au niveau global et servent surtout d’outil de communication », tempère l’Observatoire des inégalités

L’enjeu de cette préparation, ajoute-t-il, est aussi de leur fournir « des références littéraires et intellectuelles, qui sont un facteur très fort d’inégalité ». Ce que confirme Joanne ­Girardo, ancienne élève de la prépa associative aux écoles de journalisme La Chance aux concours, qui estime que « les tests de culture générale écartent les étudiants qui sont nés dans une famille populaire et sont moins initiés à l’histoire ou aux arts anciens, par exemple ».

Pour cette étudiante boursière de 21 ans, La Chance aux concours a été décisive dans son admission à l’Institut français de presse (IFP). « Les billets de train, les nuits d’hôtel et les frais de dossier m’ont coûté 700 euros. Si je n’avais pas été remboursée par l’association, mes parents auraient eu beaucoup de difficultés à payer », confie-t-elle.

85 % de réussite en 2017 pour la prépa de l’ESJ

Comme Joanne Girardo, environ la moitié des étudiants passés par La Chance aux concours a intégré une école reconnue par la profession. C’est encore davantage à la prépa de l’ESJ, qui revendique 85 % de réussite en 2017. Du côté de la CP’ENA, le taux de réussite s’élève à 60 % au concours A +, et à 40 % au concours A.

Quant à l’ENM, seuls 15 % à 20 % des élèves de la prépa accèdent finalement à l’école. « Un taux de sélectivité presque identique à celui de l’ensemble des candidats, ce qui signifie que ces étudiants, qui au départ n’étaient pas censés avoir les mêmes chances que les autres, finissent par être sur un pied d’égalité avec l’ensemble des postulants », défend Olivier Leurent, directeur de l’ENM.

« Numériquement, ces classes prépa sont une goutte d’eau dans l’océan », concède Olivier Leurent, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature

Les prépas « égalité des chances » ont prouvé une certaine efficacité et permis à des étudiants de famille modeste d’accéder à des écoles prestigieuses. Néanmoins, « les filières spéciales ouvertes par certaines grandes écoles n’ont eu aucun impact au niveau global et servent surtout d’outil de communication », selon l’Observatoire des inégalités.

En cause, notamment, le fait qu’accueillir « davantage de boursiers n’est pas nécessairement le signe d’une plus grande diversité sociale, mais possiblement le signe que la notion même de boursier s’est élargie », remarque Marc Epstein, président de La Chance aux concours. D’ailleurs, Olivier Leurent reconnaît que les 39 % de boursiers que compte la promotion de l’ENM « ne sont pas forcément issus des couches les plus défavorisées ».

Une petite minorité dans les grandes écoles

A l’ENA, ­Mejdi Jamel admet qu’« il reste toujours une marge de progression », et estime que l’école « intervient au bout d’un parcours universitaire et reproduit les inégalités déjà présentes à bac + 6, l’ENA n’étant pas une exception dans le paysage universitaire français ».

Pour atteindre une réelle égalité des chances, il faudrait élargir ces dispositifs. Car les étudiants de ces prépas ne représentent qu’une petite minorité des promotions des grandes écoles. En 2017, seuls 8 % de la promotion de l’ENM étaient passés par la classe préparatoire « égalité des chances ». « Numériquement, ces classes prépa sont une goutte d’eau dans l’océan, concède Olivier Leurent. Mais le dispositif coûte 600 000 euros à l’école, il est donc difficile de le développer davantage. »

Une autre initiative vient d’être lancée, en septembre, pour permettre une préparation gratuite aux concours de la magistrature : la création d’un master universitaire spécialisé dans le Nord-Ouest de la France. « On aimerait pouvoir dupliquer ce projet dans d’autres régions », espère déjà le directeur de l’ENM.